Le « 3 de mayo » de Goya, comme courte introduction, aux travaux d’Alix Delmas, un tableau clé pour l’artiste mais pas le seul. Choix insolite, étrange, décalé a priori, mais emblématique du travail d’Alix Delmas.
Le sujet de ce tableau est connu : un groupe d’hommes insurgés fusillés par les troupes de Napoléon lors de l’occupation espagnole.
Un premier terme déjà : résistance. Un deuxième aussi : territoire…
Les deux groupes se font face , comme dans un dialogue impossible, deux lignes de forces, l’une organisée, rigide, celle des soldats, l’autre disloquée, celle des fusillés. Ces deux lignes occupent l’espace comme une frise, s’étendant de gauche à droite du tableau, horizontalité.
Horizontalité qui se retrouve souvent dans les travaux d’Alix Delmas, qui renvoient aussi aux frises antiques, aux bas-reliefs, la vidéo « Dialogues » ….
Deux éléments marquants.
Le premier, cet homme, à genoux, chemise blanche, en opposition à la ligne sombre des soldats, vus de dos. Opposition entre obscurité et clarté, ombre et lumière. La lumière crée ici un parcours qui nous mène de l’arrière-plan, ce ciel obscur et cette ville dominée par ce clocher, seule verticalité, avec les bras levés au ciel du personnage principal de ce tableau : l’homme immaculé, point focal, que l’on devinera bientôt, affaissé, souillé par son sang, comme ce cadavre allongé sur le sol, à ses côtés…
Deuxième élément, cette lanterne, objet géométrisé, disproportionné, planté là, incongru presque, qui distribue la lumière à toute la scène. Elément disruptif, pourtant nécessaire à la vision, qui crée une ligne, une frontière entre les protagonistes.
Frontières, limites, franchissements, transgressions, dépassements,… Résistance(s) là encore… Territoires aussi à conquérir, à abolir…
La série des « Sisters », anodine ? : gémellité marquée sous le signe de l’ombre provoquée par une lumière zénithale qui traverse des gélatines de couleurs. « Sisters », ennemies, comme ces hommes liés par un destin tragique, parallèles comme ces lignes sous tension crées par le conflit… « Sisters » comme tentative d’élévation, de gagner en hauteur, de défier la pesanteur… Mais la part d’ombre qui nous rattache à notre condition rôde et ne nous lâche pas dans le trouble flou et aquatique…. Ne pas se fier aux apparences…
Comme ces jambes dans « Bacchanales », qui arpentent comme des géants, un sol aux montagnes minuscules, tentative d’élévation, de perturber l’échelle du monde, verticalité… Rappel aux temps immémoriaux des titans ?
Comme le rouge qui envahit les lèvres des filles de « Girlfish » : bientôt carnassières, piranhas ou requins, qu’importe, dans leurs rapports démiurgiques avec un paysage de plâtre qu’elles ne cessent de réagencer… La rougeur des lèvres… Ce sang qui s’écoule du cadavre dans « 3 de mayo » et s’épand sur le sol… Perte de l’innocence…
Le disruptif, sans cesse présent, chez Alix Delmas, vient rompre,
perturber le bel ordonnancement dans un jeu de déséquilibre subtil.
Introduction d’une menace, comme ces requins dont on ne voit que les ailerons et souvent récurrents chez Alix Delmas… Part cachée, part maudite…
Ce comédien, dans « Le réalisateur et l’acteur », d’abord sous les feux de la rampe, perturbé, malmené par les projecteurs, plongé dans l’obscurité… « D106 », où des phares colorés viennent explorer la nuit d’une route ne menant, on ne sait où… Eclairer quoi, explorer quoi… Nos propres angoisses, nos peurs ataviques ?
« Sauces » making off d’une photo, tourné du matin jusqu’à la nuit…. Les lettres de « Sauces », dressées, qui opposent leurs régularités, leurs rectitudes, au désordre de la nature… Lettres qui se jouent de sa quiétude désertique et transforme cette nature en paysage…. Deux territoires se confrontent…
Il ne serait juste être qu’une question de lumière dans le travail d’Alix Delmas… Seulement le début d’une piste…
V. P., mars 2011